Pleine conscience : mieux vivre sa relation amoureuse

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La pratique régulière de la pleine conscience améliore la santé physique, le bien-être psychologique ou l’humeur, comme le montrent bon nombre d’études. En revanche, peu de travaux se sont penchés sur le lien entre pleine conscience et relations interpersonnelles. Encore moins s’agissant des relations amoureuses. On sait qu’une relation amoureuse est plus satisfaisante lorsque les partenaires sont capables d’accepter les défauts et imperfections de l’autre. Or, une étude récente, publiée dans la revue Mindfulness, montre que cette capacité d’acceptation est en lien étroit avec notre disposition à la pleine conscience.

Quels sont les ingrédients d’une relation amoureuse satisfaisante ? Qu’est-ce qui la rend stable ? Pourquoi dure-t-elle ou ne dure-t-elle pas dans le temps ? Pouvoir répondre de manière définitive à ces questions équivaudrait à trouver le secret permettant de transformer le plomb en or. Mais les relations amoureuses sont trop complexes et leur alchimie trop subtile pour se laisser enfermer dans une solution aussi abrupte. Pourtant, la psychologie, si elle ne détient pas la Pierre philosophale, peut apporter des éléments de réponse à ces questions, surtout depuis qu’elle s’intéresse à la pleine conscience.

Qu’est-ce que la pleine conscience ?

Issue de la tradition et de la philosophie bouddhiste, la pleine conscience nous vient des États-Unis. Le terme de mindfulness a en effet été popularisé par un médecin américain, Jon Kabat-Zinn, au début des années 1990. Inspiré par le moine bouddhiste Thích Nhất Hạnh dont il a été l’élève, Kabat-Zinn a fait œuvre de pionnier en fondant une clinique du stress. Il a également développé un programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR). Il décrit ce programme dans son ouvrage Au cœur de la tourmente.

Les ingrédients de la pleine conscience

La pleine conscience se définit par un état de conscience où l’individu est entièrement attentif à ce qui se déroule dans l’instant présent, sans jugement porté sur ce qui arrive.

Notons que la pleine conscience est d’abord une disposition, un trait, mesurable à travers un certain nombre d’échelles (FMMQ, MAAS, etc.). Par conséquent, tous les individus ne disposent pas du même niveau de pleine conscience. Par ailleurs, cette disposition ne doit pas être confondue avec les pratiques qui visent précisément à accroître cette pleine conscience. Parmi celle-ci, on peut citer la méditation de pleine conscience, dont Chistophe André s’est fait le chantre en France.

Il faut donc distinguer deux éléments dans la pleine conscience. Le premier de ce éléments est la capacité à se focaliser sur l’expérience présente. C’est-à-dire l’ensemble des émotions, sensations corporelles ou encore pensées qui surgissent spontanément. Quant au deuxième élément, il consiste en une approche distanciée et non jugeante de cette expérience. Il faut entendre par là une attitude d’acceptation, quelle que soit la valence, positive ou négative, de ce qui est vécu. Désormais, les études sont légions qui montrent les effets positifs de la pleine conscience sur un ensemble d’indicateurs de bien-être psychologique et de santé physique.

Alors que ces bienfaits ont été mis en évidence au niveau individuel, on peut s’interroger sur les bénéfices de cette pleine conscience au niveau interpersonnel, en particulier dans le cadre des relations amoureuses.

« La pleine conscience consiste à intensifier sa présence à l’instant […] au lieu de s’en échapper ou de vouloir le modifier, par l’acte ou la pensée. »

Christophe André

Pleine conscience et relation amoureuse

Trois facettes de la pleine conscience sont susceptibles d’avoir un impact sur le plan relationnel. Tout d’abord, il a été montré que l’entraînement à la pleine conscience permet d’accroître le contrôle exécutif et d’améliorer ses capacités d’autorégulation. Rappelons que le contrôle exécutif consiste en un ensemble de fonctions cognitives qui nous permettent entre autres d’inhiber des réponses automatiques et impulsive, en faveur de réponses plus en accord avec nos aux objectifs, nos buts, nos valeurs. Ainsi, la pleine conscience permet de déconnecter le « pilote automatique », d’être moins réactif, et donc de pouvoir mieux gérer ses réponses comportementales.

D’autre part, la pleine conscience permet une meilleure régulation émotionnelle. Elle ne permet pas de chasser les émotions liées à des expériences négatives. Mais plutôt de reconnaître ces émotions, sans pour autant s’identifier à elles, ni être submergé par des pensées de détresse liées à ces émotions. Elle permet donc une mise à distance par rapport aux émotions.

Enfin, des études ont montré que la pleine conscience est associé à une meilleure connexion interpersonnelle et un sentiment de plus grande proximité avec autrui. D’autres études suggèrent également que la pleine conscience est liée à une plus grande empathie à l’égard d’autrui. Elle permet ainsi une meilleure compréhension du comportement de l’autre.

La relation amoureuse dans la tempête

Les relations amoureuses sont, comme toutes les relations humaines, des interactions, régies par une causalité circulaire. Alors que nous percevons nos propres comportements comme des réactions face au comportement de l’autre, nous réalisons plus difficilement que l’autre réagit également à notre propre comportement. Or la manière dont se déroule ce jeu de ping-pong comportemental détermine le bon ou mauvais fonctionnement d’une relation amoureuse.

Plus exactement, c’est en observant la manière dont il se déroule dans les situations critiques, les situations de conflit, de crise, qu’un diagnostic du fonctionnement de la relation amoureuse peut se faire. Or les situations critiques ont lieu lorsque l’intérêt personnel d’un partenaire ne coïncide pas avec celui de l’autre, lorsque les besoins d’un partenaire ne sont pas satisfaits. Vous avez par exemple prévu un dîner en tête-à-tête avec votre amoureux alors que ce dernier se faisait une joie d’aller voir un match de foot avec ses amis, ce qui a pour effet de générer une tension, puisque les besoins d’un des partenaires ne sera pas satisfait. Il peut également s’agir de situations qui font intervenir la jalousie d’un partenaire, où qui mettent en jeu des impulsions de revanche après un conflit.

Le risque des attentes idéalisées

Pour Gesa Kappen, Melanie Schellekens et Johan Karremans, du Behavioral Science Institute de l’Université Radboud aux Pays-Bas, qui ont fait des relations sociales leur thème de recherche, les partenaires amoureux doivent faire face à un autre défi. Celui de la confrontation entre des attentes idéalisées et une réalité parfois décevante. En effet, la perfection n’étant pas de ce monde, notre partenaire amoureux revêt rarement les habits que notre idéal aimerait lui voir porter, tant au niveau de ses traits de caractère que de son comportement. Toujours trop « ceci » ou pas assez « cela » pour être l’homme ou la femme parfaite qu’on aurait rêvé de rencontrer. Or faire reposer l’évaluation du partenaire sur des critères idéalisés est extrêmement risqué. En effet, sans pour autant remettre en question l’intégrité de la relation amoureuse, cela peut susciter des émotions négatives comme de l’irritation, de la déception ou de la colère. Alors comment faire ?

Quel que soit le cas le cas de figure envisagé, le bon fonctionnement de la relation amoureuse repose sur la volonté et la capacité de chaque partenaire à transformer une impulsion initiale dirigée vers son intérêt propre en une réponse et un comportement qui tiennent compte de l’intérêt de l’autre partenaire et de l’intérêt de la relation. Ce processus est appelé la « transformation de la motivation ». Il consiste donc à renoncer à satisfaire son intérêt personnel immédiat pour privilégier un intérêt supérieur, celui de la relation amoureuse. Par exemple, renoncer au match de foot pour faire plaisir à sa conjointe ou reporter un dîner en tête-à-tête qui était prévu.

« Les partenaires d’une relation amoureuse sont par définition interdépendants. Les traits et les comportements de l’un affectent en permanence ceux de l’autre »

Kappen, Schellekens & Karremans

Deux stratégies peu efficaces

Selon ces deux chercheurs, une première manière de concilier idéalisation et réalité est de voir l’autre à travers les lunettes déformantes de la passion amoureuse. Plus nous sommes amoureux, plus notre seuil de tolérance est élevé, plus nous sommes capables d’accepter les imperfections de l’autre. Mais cela ne dure qu’un temps, et lorsque la passion amoureuse se tarit, la chute est parfois brutale. Swann, le héros proustien de la Recherche, en témoigne. En effet, après avoir été aveuglé par son amour pour Odette, il prend conscience, lorsque l’effet amoureux se dissipe, qu’il a gâché une partie de son existence pour une femme de petite vertu.

Une autre stratégie peut consister à vouloir changer les imperfections de son partenaire. Il apparaît en effet que 90 % des personnes investies dans une relation amoureuse saine ont essayé de changer au moins un aspect de leur partenaire qui ne s’accordait pas à leurs attentes idéalisées. Cependant, ces tentatives de régulation sont souvent vouées à l’échec. Non seulement elle ne conduisent à aucun changement effectif, mais elles contribuent à augmenter l’insatisfaction au sein du couple.

En effet, en focalisant l’attention sur les « défauts » du partenaire, ces tentatives de changement les rendent encore plus saillants, par un effet de loupe malheureux. Elles donnent alors au partenaire le sentiment d’être moins apprécié, à cause desdites imperfections. Plus encore, la pression exercée par un partenaire pour changer les imperfections de l’autre diminue le sentiment d’autonomie de ce dernier. Cela a pour conséquence de provoquer chez lui une forme de réactance qui non seulement rend le changement impossible, mais engendre également de la souffrance. En fin de compte, l’impact sur le fonctionnement du couple d’une stratégie de changement de l’autre est globalement négatif. Le couple a plus à perdre qu’à gagner à ce jeu là.

Accepter la différence

Enfin, plutôt que de vouloir changer son partenaire, il peut être plus efficace d’accepter qu’il ait des caractéristiques moins idéales qu’attendues. Gesa Kappen, Melanie Schellekens et Johan Karremans définissent l’acceptation du partenaire comme « la capacité et la volonté de reconnaître les possibles imperfections de son partenaire sans que cela suscite un désir de les changer ».

« Essayer de changer l’autre, même s’il est motivé par l’amour et la fidélité envers vous, est le plus souvent illusoire »

Andew Christensen

Pour autant, dans le cadre d’une relation amoureuse saine, l’acceptation ne suppose pas l’absence de sentiments négatifs, d’irritation vis-à-vis des imperfections de l’autre. Elle suppose de reconnaître la présence de ces imperfections et d’accepter que celles-ci puissent parfois engendrer des émotions négatives.

Applications cliniques

Dans la pratique clinique, un certain nombre de programmes basés sur la notion d’acceptation du partenaire, destinés aux couples en difficulté, ont vu le jour. Citons, par exemple, la thérapie de couple comportementale intégrative (IBCT), la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) ainsi que le programme CARE (cohérence, attention, relation, engagement) pour les couples.

Ainsi, l’objectif central de tous ces programmes est de conduire les partenaires de la relation à comprendre que les imperfections de l’autre sont normales et inévitables. Il s’agit également de leur faire prendre conscience que ce ne sont pas véritablement les imperfections de l’autre comme telles qui sont une source de détresse. Mais bien plutôt les réactions émotionnelles suscitées par l’attention portée à ces imperfections. Ces thérapies sont donc responsabilisantes et centrées sur l’acceptation pleine et entière de l’autre, avec ses défauts et ses imperfections. Elles ont par ailleurs montré leur efficacité dans l’amélioration de la relation amoureuse et du bien-être du couple.

Pleine conscience, acceptation et satisfaction dans la relation amoureuse

Bien qu’une thérapie comme ACT repose directement sur des techniques de pleine conscience pour amener à une meilleure acceptation de l’autre, on peut s’étonner que les travaux de recherche théoriques concernant le lien entre pleine conscience et acceptation du partenaire soient quasi inexistants.

D’autre part, ces thérapies mettent en œuvre des exercices qui s’adressent aux deux partenaires du couple. On peut cependant se demander si une disposition à la pleine conscience d’un seul des partenaires peut apporter un bénéfice pour l’autre partenaire. Par exemple en favorisant sa meilleure acceptation, et permettant ainsi une relation amoureuse plus satisfaisante.

Trois études probantes

Cette hypothèse a été testée par l’équipe néerlandaise au cours de trois études. Les deux premières ont tout d’abord examiné l’association entre la pleine conscience, l’acceptation du partenaire et la satisfaction relationnelle au sein du couple. Ce à partir d’échantillons constitués respectivement de 190 et 140 participants adultes. Tous engagés dans une relation amoureuse depuis au moins un an. Or ces deux études ont confirmé le fait que la capacité d’un partenaire à accepter les défauts de l’autre était d’autant plus grande que sa disposition à la pleine conscience était importante. Elles ont également montré qu’une plus grande acceptation du partenaire était liée à une meilleure satisfaction de la relation amoureuse.

Quant à la troisième étude, elle a porté sur un échantillon de 53 couples. Dans chacun de ces couples, un des partenaires seulement avait suivi un entraînement à la pleine conscience. Or il se trouve que les deux résultats les plus intéressants de cette étude concernent le partenaire qui n’avait pas suivi d’entraînement à la pleine conscience. D’une part, il apparaît que ce dernier se sentait d’autant mieux accepté que son partenaire avait une disposition importante à la pleine conscience. D’autre part, plus ce sentiment d’être accepté était fort, plus la satisfaction relationnelle éprouvée par son partenaire était importante. Ainsi, le niveau de pleine conscience d’un des partenaires pourrait indirectement apporter une meilleure satisfaction relationnelle pour l’ensemble du couple, par l’intermédiaire de l’acceptation.

« J’en suis arrivé à considérer la méditation comme un acte d’amour radical. Un geste interne de bienveillance et de bonté envers soi et les autres »

Jon Kabat-Zinn

L’acceptation n’est pas la résignation

Alors, l’acceptation est-elle le Graal qui sauvera du naufrage tout couple pris dans la tempête ? Rien n’est moins sûr nous avertissent les chercheurs du Behavioral Science Institute. En effet, la médaille a son revers : la ligne de partage est étroite entre l’acceptation du partenaire au sein d’une relation saine, source de satisfaction et de stabilité pour le couple, comme nous venons de le voir, et la résignation à tous les comportements du partenaire. Cette forme de résignation est bien souvent le signe d’une relation toxique. Ainsi, à force de trop accepter, on peut finir par perdre le sens de la limite et se retrouver piégé dans une relation abusive.

La pleine conscience pourrait-elle alors contribuer également à cela ? En tout cas, ce n’est pas l’avis des deux chercheurs néerlandais. En effet, selon eux, la pleine conscience pourrait au contraire permettre de prendre conscience de certains processus inconscients et automatiques. Ceux-la même qui conduisent à tolérer, justifier et rationaliser le comportement du partenaire dans les situations d’abus qui sont à la base des relations dites « toxiques ». Le débat reste ouvert.

Pour aller plus loin :

Christensen, A., Jacobson, N. S., Allard, F. T., Kotsou, I., & Simon, Y. (2012). Couples en difficultés: accepter ses différences. Belgique, Belgique: De Boeck, DL 2012.

Kabat-Zinn, J., André, C. (2012). Au coeur de la tourmente, la pleine conscience. (C. Maskens, Trad., Paris, France: J’ai lu.

Kappen, G., Karremans, J. C., Burk, W. J., & Buyukcan-Tetik, A. (2018). On the Association Between Mindfulness and Romantic Relationship Satisfaction: the Role of Partner Acceptance. Mindfulness, 9(5), 1543‑1556.https://doi.org/10.1007/s12671-018-0902-7

Karremans, J. C., Schellekens, M. P. J., & Kappen, G. (2017). Bridging the Sciences of Mindfulness and Romantic Relationships: A Theoretical Model andh Research Agenda. Personality and Social Psychology Review, 21(1), 29‑49. https://doi.org/10.1177/1088868315615450


Jean-François Lopez

Psychologue clinicien, psychothérapeute. Diplômé de l'Université Grenoble Alpes, je me suis formé au modèle de thérapie brève systémique de Palo Alto, qui favorise le changement en faisant appel aux ressources de la personne.

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