Violence conjugale: comprendre le phénomène, au-delà des idées reçues

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La violence conjugale est devenue une préoccupation planétaire. Selon l’OMS, un tiers des femmes dans le monde ont subi des violences physiques ou sexuelles dans leur couple. Derrière cette statistique alarmante se cache une diversité de situations individuelles qui amène à s’interroger sur ce qu’on entend plus précisément par violence conjugale. Quelle est la nature de cette violence? Qui en sont les auteurs? Qui en sont les victimes? Quelles en sont les conséquences, physiques et mentales ? Nous tenterons d’apporter un éclairage sur ces questions, dans le cadre des relations hétérosexuelles, quitte à bousculer quelques idées reçues.

Aux États-Unis, un sondage récent a montré que 37 % des femmes avaient dans leur vie souffert de violence physique ou sexuelle. Et près de la moitié d’entre elles ont vécu une situation d’abus psychologique. Les Etats se mobilisent sur toute la planète pour faire face au fléau. La guerre à la violence conjugale est déclarée. En France, un « Grenelle des violences conjugales » s’est tenu en 2019 pour mettre un terme à l’inacceptable.

Mais que recouvre précisément le terme de « violence conjugale »?

L’OMS définit la violence conjugale ou violence du partenaire intime (IPV, intimate partner violence) par « tout comportement qui, dans le cadre d’une relation intime (partenaire ou ex-partenaire), cause un préjudice d’ordre physique, sexuel ou psychologique. Elle comprend notamment les actes d’agression physique, les relations sexuelles forcées, la violence psychologique et tout autre acte de domination ». Ainsi, l’exercice de la violence conjugale est un mode d’interaction particulier visant à dominer et contrôler une relation intime.

Idée reçue n°1: la violence conjugale est d’abord une violence physique

On distingue habituellement quatre types de violence conjugale :

  • La plus médiatisée est la violence physique. Elle peut aller de la bousculade jusqu’à l’homicide volontaire pour les cas les plus graves.
  • La violence sexuelle est considérée comme tout acte sexuel ou toute tentative d’acte sexuel accomplis sans le consentement du partenaire
  • On parle peu de la violence économique, qui est un préjudice économique perpétré par le partenaire ou un ancien partenaire. Elle peut prendre la forme de dommages matériels, de restrictions financières, de restrictions d’accès à un emploi, etc.
  • Enfin la violence psychologique, encore désignée par les expressions « abus psychologique » ou « abus émotionnel ». Elle s’exerce par le biais principal de la communication, dans le but d’affaiblir l’intégrité et la dignité de la victime. Elle peut comprendre également les comportements de contrôle direct et de coercition.

La violence psychologique : une violence cachée ?

Les violences physiques et sexuelles dans le couple sont les plus connues. Elles font la une des journaux, suscitent des tollés d’indignation et laissent sur leur victime des traces visibles. Pourtant, la violence psychologique fait l’objet d’un intérêt grandissant. On constate en effet que ses conséquences ne sont pas moins dramatiques que pour les autres formes de violence.

Mur en brique, symbole de la violence conjugale

Les difficultés posées par la violence psychologique ne concernent pas que son manque de visibilité. Elles ont également trait à sa définition. Tout le monde s’accorde sur certains procédés propres à la violence psychologique. Citons, entre autres, la dévalorisation, l’humiliation, les insultes, l’intimidation, la critique, le chantage, les menaces, la coercition, le mensonge et divers types de manipulation. Pourtant, il n’y a actuellement aucun consensus pour en donner une définition précise. D’où la difficulté à pouvoir la recenser précisément, la mesurer et à comparer les différentes études sur le sujet.

Les actes de violence psychologique prédominent sur les autres types d’actes violents

D’autre part, définir une frontière précise entre les différents types de violence est une tâche ardue. Ainsi, par exemple, la destruction de biens matériels appartenant au partenaire peut être considérée comme un acte de violence économique. Mais il peut également être considéré comme un acte d’intimidation, donc de violence psychologique.

Malgré tout, comme le souligne la chercheuse Sarah Dokkedhal, du département de psychologie de l’université Sud Danemark, « la violence psychologique est considérée comme la plus importante forme de violence conjugale aux Etats-Unis et en Europe » (Dohhedhal et al., 2017).

Ainsi, une étude effectuée par l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) auprès de 42 000 femmes montre que 43 % des femmes ont subi une forme ou une autre d’abus psychologique de la part de leur partenaire ou d’un ancien partenaire, contre 22 % d’actes de violence physique ou sexuelle.

De même, une enquête de L’INSEE effectuée en France et publiée en 2016 a montré que 12,7 % des femmes et 10,5 % des hommes âgés de 18 à 75 ans ont subi durant les deux années précédentes des atteintes psychologiques ou des agressions verbales de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Par comparaison, sur une période équivalente, 2,1 % des femmes et 0,9% des hommes déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles.

Une pénalisation récente des violences psychologiques dans le couple

C’est pourquoi, depuis quelques années, la loi pénale prend en considération la violence psychologique dans les relations intimes. C’est ainsi le cas en Angleterre et dans de nombreux pays d’Europe, notamment en France depuis 2010. Malheureusement, le parcours judiciaire de la victime de violences psychologiques est souvent compliqué. Cela s’explique par la réticence des services concernés à faire appliquer la loi (dépôt de plainte, etc.) et par la difficulté de la victime à apporter les preuves des dommages subis.

Le fait de harceler son conjoint […] par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende[…].

Code pénal, article 222-33-2-1, modifié par la LOI n°2018-703 du 3 août 2018 – art. 13

Idée reçue n°2: les auteurs de violences conjugales sont des hommes

Une autre difficulté posée par l’étude de la violence conjugale, indépendamment du mode opératoire considéré, concerne sa répartition dans le couple.

Premier constat: dans la majorité des cas, la violence est bilatérale. En effet, plusieurs études estiment que dans 50% à 70% des cas de violence conjugale, celle-ci est mutuelle. Malheureusement, peu nombreuses sont les études qui rendent compte de la dynamique interactionnelle conduisant à une escalade de la violence dans ces couples. On estime pourtant que les couples où s’exerce une spirale de la violence sont les plus à risque et les plus en danger.

Femmes victimes, hommes agresseurs ?

Deuxième constat: la violence, lorsqu’elle provient d’un seul partenaire, se partage à part égale entre les sexes. En effet, depuis une vingtaine d’années, les études s’accumulent qui tendent à montrer que les hommes sont globalement victimes de violences physiques et psychologiques dans les mêmes proportions que les femmes. Par conséquent, les agresseurs dans le couple appartiennent à part égale aux deux sexes.

Comme le souligne Nir Rozmann, auteur d’une revue de synthèse sur la question, « la violence dans les relations intimes ne se limite pas à une agression des hommes et une victimisation des femmes. C’est un phénomène symétrique » (Rozmann & Ariel, 2018)

Ce phénomène a donné lieu à la théorie de la symétrie des genres (gender symmetry). Cette théorie va à l’encontre de l’idée commune selon laquelle l’homme est l’instigateur de la violence au sein du couple. C’est pourquoi elle fait grincer des dents les féministes, qui dénoncent depuis longtemps un modèle sociétal basé sur le patriarcat. Ce modèle serait, selon le paradigme féministe, à l’origine d’une domination masculine dont la violence conjugale serait le principal outil.

La question fait l’objet de controverses dans le monde de la recherche depuis une vingtaine d’années. Ces controverses portent par exemple sur les outils utilisés pour mesurer la violence. En effet, ils peuvent entraîner des biais favorisant aussi bien le paradigme féministe que les tenants d’une approche symétrique.

Les atteintes plus graves pour les femmes

D’autre part, certains chercheurs font remarquer qu’il importe d’estimer également les conséquences de la violence conjugale. Or sur ce plan, la symétrie ne semble pas respectée. Ainsi, par exemple, les principales victimes d’homicides consécutifs à des violences conjugales sont des femmes. En France, un rapport commandé par la garde des sceaux en 2019, portait sur les homicides au sein du couple entre 2015 et 2016. Il a montré que 85% des auteurs étaient des hommes et 83% des victimes étaient des femmes.

Il faut également prendre en compte le type de violence. Ainsi, par exemple, les hommes sont les principaux instigateurs de la violence sexuelle. Selon une étude menée aux Etats-Unis entre 1993 et 2011, 8% des femmes rapportaient des agressions sexuelles de la part de leur partenaire, contre 0,8% pour les hommes. Seules les violences physiques et psychologiques obéissent à la loi de la symétrie.

Idée reçue n°3: les femmes utilisent la violence conjugale pour se défendre de leur partenaire masculin violent

Inversement, une synthèse de 41 études publiées entre 1983 et 2012 a montré que les femmes tendaient à dénoncer la violence qu’elle subissent davantage que les hommes. Ces derniers seraient moins enclins que les femmes à avouer leur condition de victime à cause d’un préjugé sociétal défavorable, dans des sociétés qui dénoncent la violence faite aux femmes. La violence qu’ils subissent pourrait donc être sous-estimée.

D’autre part, les tenants de l’approche féministe avancent l’argument selon lequel, dans les cas de violence mutuelle (la majorité des cas, rappelons-le), la violence exercée par la femme serait une réaction de défense à une violence masculine initiale. Or les études portant sur la violence mutuelle ne corroborent pas cette affirmation.

La psychologue Julia Babcock, du département de psychologie de l’université de Houston, affirme en effet qu’on observe « des taux d’auto-défense plus élevés pour les hommes que pour les femmes ». Dans une étude qu’elle a menée auprès de 180 couples recrutés sur une base de violence masculine, elle a montré que 27% des actes de violence exercés par les hommes étaient des actes d’auto-défense, contre 22% pour les femmes (Babcock et al. 2019). L’argument de l’auto-défense semble donc aussi pertinent pour justifier la violence commise par les hommes que celle commise par les femmes.

Idée reçue n°4: les auteurs de violences conjugales sont des pervers narcissiques

La psychopathologie de l’agresseur est également une question brûlante lorsqu’on s’intéresse aux violences dans le couple. Il n’est pas rare, en consultation, de voir des patient(e)s victimes de violence conjugale interroger le thérapeute : « pensez-vous que mon mari/ma femme est pervers(e) narcissique ? ». La popularité de l’expression « pervers narcissique » est inversement proportionnelle à son intérêt sur le plan clinique. A tel point qu’elle est devenue le point Godwin de la communication interpersonnelle. Si mon couple connaît des difficultés, alors mon partenaire est un pervers narcissique. Néanmoins, derrière ces jugements à l’emporte-pièce se cache un fond de vérité au regard des violences conjugales.

Les troubles de la personnalité prédisposent à la violence dans le couple

Les études portant sur l’agresseur dans les violences au sein du couple montrent en effet la présence fréquente chez celui-ci de traits caractéristiques de certains troubles de la personnalité borderline, narcissique ou antisociale (psychopathie), et ce quel que soit le sexe de cet agresseur.

Chaînes, symboles de la violence conjugale

D’autre part, on sait qu’il existe une corrélation entre le narcissisme et l’exercice de la violence dans les relations intimes. A tel point que la recherche commence à utiliser l’expression « d’abus narcissique » (narcissistic abuse) pour désigner les situations de violence conjugale impliquant un agresseur narcissique.

L’exposition à la violence entraîne l’exercice de la violence

Cependant, les études sur les auteurs de violences conjugales montrent que les troubles de la personnalité sont loin d’être le seul facteur déterminant. En effet, la violence du partenaire intime est par exemple corrélée à l’utilisation de substances par ce dernier, en particulier d’alcool et de cannabis.

Enfin, l’exposition à de la violence domestique ou à des formes de maltraitance physique ou psychologique durant l’enfance est un facteur de risque supplémentaire. Elle prédispose à l’expression de différentes formes de violence à l’âge adulte, dans le couple.

Certains facteurs prédisposent à être victime de violence conjugale

Concernant la victime, les études montrent que les facteurs de risque sont globalement les mêmes que ceux qui prédisent le comportement de l’agresseur. Ainsi, tous les types d’abus (physique, sexuel, psychologique) durant l’enfance prédisposent à une victimisation à l’âge adulte. La victime peut avoir subi directement ces abus. Mais elle peut également y avoir été exposée par le biais de la violence entre les parents.

De même, la consommation d’alcool ou l’utilisation de substances accroissent les risques d’être victime de violence conjugale. Les troubles psychologiques, tels que les attaques de panique, le trouble d’anxiété généralisé, le trouble bipolaire, le trouble de la personnalité antisociale, au le trouble de stress post-traumatique (PTSD) sont également des facteurs de risque.

Selon les chercheurs, les symptômes liés aux troubles psychologiques et la médication associée pourraient faciliter l’émergence de la violence. En effet, ils conduiraient la victime à développer des réponses inadéquates aux conflits conjugaux. Pour ces victimes, les conséquences psychiques de la violence conjugale viendraient alors se superposer à des fragilités préexistantes.

Les conséquences délétères de la violence conjugale

La violence au sein du couple a en effet des conséquences dramatiques, tant sur la santé physique que sur la santé mentale de la victime.

Les conséquence physiques

Les troubles physiques sont bien entendu une conséquence immédiate de la violence physique. Cependant, ils peuvent également être la conséquence à long terme des différents types de violence rencontrés. Ainsi, de nombreuses victimes souffrent de douleurs chroniques, de troubles gastro-intestinaux, d’hypertension, de troubles sexuels, de migraines, de pertes de mémoire, de troubles du sommeil ou de troubles cardiovasculaires. D’autre part, ces troubles peuvent perdurer alors même que la victime a quitté la relation abusive.

Certaines études ont également mis en évidence une modification des taux de cortisol et de DHEA liée à l’augmentation du stress chronique dans un climat de violences continues. Ces modifications peuvent conduire à des changements structuraux et fonctionnels de certaines zones du cerveau. Ainsi, l’hippocampe, l’amygdale ou le cortex préfrontal subissent des altérations notables. Ces modifications ont alors un impact délétère sur la santé mentale ainsi que sur le fonctionnement cognitif de la victime.

Les conséquences psychologiques

Sur le plan psychologique, entre 30% et 80% des victimes de violence conjugale souffrent d’un trouble de stress post-traumatique (PTSD). Celui-ci se manifeste par de multiples symptômes : anxiété, irritabilité, attaques de panique, etc. Elles rapportent fréquemment la présence d’un trouble dépressif majeur ainsi que des troubles anxieux divers. Certaines études montrent également que les femmes victimes de violences physiques présentent des risques suicidaires accrus.

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D’autre part, la violence conjugale a souvent pour conséquence une augmentation de la consommation de substances, en particulier d’alcool. Elle peut créer des situations de dépendance vis-à-vis de ces substances.

Notons enfin que la violence dans le couple a un retentissement à long terme sur la confiance en soi et l’estime de soi. Elle engendre souvent des sentiments de honte et de culpabilité, entame la capacité à faire confiance à autrui et peut parfois engendrer un sentiment de profonde solitude.

Idée reçue n°5: la violence psychologique a des conséquences moins graves que la violence physique

La recherche actuelle s’oriente vers une discrimination de plus en plus fine entre les différents types de violence. Elle prône en particulier la construction d’outils standardisés afin d’évaluer la violence psychologique. En effet, les études récentes montrent que ses effets au moins aussi importants que pour les autres types de violence.

Ainsi, les actes de violence psychologiques ne peuvent pas être considérés stricto sensu comme relevant d’un événement traumatique. Pourtant, ils peuvent occasionner un trouble de stress post-traumatique (PTSD) de la même manière que les violences physiques ou sexuelles, et dans des proportions similaires.

C’est ce qu’a montré Rita Começenha dans une étude récente. Elle affirme: « notre recherche suggère que les conséquence de la violence psychologique sur la santé mentale sont beaucoup plus fortes que prévu » (Começanha et al., 2017)

De même, on observe des taux importants de dépression chez les victimes de violences psychologiques. L’abus émotionnel entraîne également une baisse de l’estime de soi, une tendance à l’isolement et une méfiance à l’égard des relations interpersonnelles.

Par ailleurs, les conséquences psychologiques de l’abus émotionnel pourraient être sous-estimées du fait de sa co-occurrence avec les autres types d’abus. En effet, si la violence psychologique peut exister sans la présence de violence physique ou sexuelle, l’inverse n’est pas vrai. La violence psychologique apparaît ainsi comme le terreau à partir duquel se développent les autres formes de violence.

Certains chercheurs font donc l’hypothèse que les dommages psychologiques observés seraient plus causés par les atteintes psychologiques que par les atteintes physiques ou sexuelles. Des études sont en cours dans le but de vérifier cette hypothèse.

Toujours est-il que pour la victime, homme ou femme, confrontée à ces conséquences dramatiques, une question se pose inévitablement: faut-il rester ou partir?

Idée reçue n°6: les femmes ont plus de difficulté que les hommes à quitter une relation abusive

La manière de réagir à la violence conjugale ne semble pas respecter le modèle du gender symmetry. En 2011, une étude avait déjà montré que le niveau de satisfaction relationnelle était plus faible pour les femmes victimes de violences conjugales que pour les hommes victimes. Ainsi, pour des couples mariés, la violence physique exercée par l’homme augmente le risque de divorce, alors qu’elle n’a aucune influence lorsque c’est la femme qui exerce les violences.

Pour confirmer cette hypothèse de dissymétrie entre homme et femme, Zohre Ahmadabadi, dans une étude publiée en 2017, a montré qu’environ 31% des femmes avaient quitté leur partenaire abusif. Par contre, seulement 24% des hommes étaient partis. Pour l’auteure de l’étude, il ne fait aucune doute que « les hommes ont plus tendance que les femmes à rester dans des relations abusives » (Ahmadabadi et al., 2017), ce que confirment d’autres recherches.

Cette dissymétrie pourrait s’expliquer de la même manière que la difficulté, pour les hommes, à dénoncer leur statut de victime. Les normes sociales encouragent en effet les femmes à montrer leurs vulnérabilités, ainsi qu’à refuser et à dénoncer la violence qu’elles subissent dans leurs relations intimes. Au contraire, les hommes y sont peu poussés.

Une autre explication possible pourrait être liée à la perception de la relation. Les hommes se considéreraient en effet, en référence à leur statut social traditionnel, comme responsables et dépositaires de la relation, ainsi que de leur partenaire, même abusive. Rester leur apparaîtrait alors comme un devoir.

Idée reçue n°7: partir d’une relation abusive permet d’éviter la violence

Quoi qu’il en soit, un grand nombre de victimes, homme ou femme, choisissent de partir. Quitter un(e) partenaire abusif(ve) paraît en effet relever du bon sens. C’est d’ailleurs souvent l’option valorisée par l’entourage de la victime. Pourtant, il est nécessaire d’interroger la pertinence de ce départ. En d’autres termes, quitter une relation abusive et maltraitante permet-il de mettre fin aux violences subies ?

Les résultats de la recherche mettent en doute cette hypothèse. Ainsi, une étude longitudinale s’est intéressée à la présence de violences conjugales chez 1260 sujets à 9 ans d’intervalle. Cette étude a montré un lien fort entre le fait d’être victime de violence à 21 ans et d’en être de nouveau victime à l’âge de 30 ans (Ahmadabadi et al., 2018). Pourtant, entre les deux périodes, environ la moitié des femmes et des hommes victimes avaient quitté leur partenaire. Zohre Ahmadabadi conclut que « le changement de relation n’empêche pas les hommes et les femmes de continuer à être victimisés ».

Comment expliquer le fait que les victimes de violence conjugale ont tendance à retomber dans des relations abusives?

Plusieurs interprétations possibles de la re-victimisation :

Pour certaines victimes, la violence conjugale pourrait apparaître comme une norme de fonctionnement du couple, tolérable, dans certaines limites. Les apprentissages personnels de la victime, exposée durant l’enfance à la violence, faciliteraient l’acceptation de cette norme. Ainsi, les facteurs de risque d’une victimisation sont aussi les facteurs de risque d’une re-victimisation.

toile d'arraignée, symbole d'un pattern de victimisation

Selon une autre interprétation, les dégâts psychologiques causés par une première victimisation pourraient avoir un impact sur les capacités cognitives et réactives de la victime. Elles pourraient en effet affaiblir ses capacités à poser des limites et se faire respecter, ouvrant ainsi la voie à une future victimisation.

Enfin, selon une troisième interprétation, certains facteurs socio-culturels pourraient également favoriser une re-victimisation. Dans cette perspective, les victimes considéreraient la violence comme faisant partie de la distribution normale des rôles sexuels au sein du couple.

C’est pourquoi on observe souvent un tropisme victimaire, c’est à dire une tendance à la répétition d’un même schéma de victimisation à travers différentes relations. La bonne nouvelle est que ce pattern de victimisation n’est pas inéluctable. Chez les victimes qui sont en recherche active d’aide (conseillers conjugaux, associations de victimes, psychothérapeutes, etc;), la vapeur peut s’inverser et conduire à une vie sans abus.

(Merci à Jean-Pascal Damier pour sa relecture)


Articles sur la violence conjugale

Ahmadabadi, Z., Najman, J. M., Williams, G. M., Clavarino, A. M., d’Abbs, P. (2017). Gender Differences in Intimate Partner Violence in Current and Prior Relationships. Journal of Interpersonal Violence, 886260517730563. https://doi.org/10.1177/0886260517730563

Ahmadabadi, Z., Najman, J. M., Williams, G. M., Clavarino, A. M., d’Abbs, P., & Saiepour, N. (2018). Does leaving an abusive partner lead to a decline in victimization? BMC Public Health, 18. https://doi.org/10.1186/s12889-018-5330-z

Babcock, J. C., Snead, A. L., Bennett, V. E., & Armenti, N. A. (2019). Distinguishing Subtypes of Mutual Violence in the Context of Self-Defense : Classifying Types of Partner Violent Couples Using a Modified Conflict Tactics Scale. Journal of Family Violence, 34(7), 687‑696. https://doi.org/10.1007/s10896-018-0012-2

Começanha, R., Basto-Pereira, M., & Maia, Â. (2017). Clinically speaking, psychological abuse matters. Comprehensive Psychiatry, 73, 120‑126. https://doi.org/10.1016/j.comppsych.2016.11.015

Devries, K. M., Mak, J. Y. T., García-Moreno, C., Petzold, M., Child, J. C., Falder, G., Lim, S., Bacchus, L. J., Engell, R. E., Rosenfeld, L., Pallitto, C., Vos, T., Abrahams, N., & Watts, C. H. (2013). The Global Prevalence of Intimate Partner Violence Against Women. Science, 340(6140), 1527‑1528. https://doi.org/10.1126/science.1240937

Dokkedahl, S., Kok, R. N., Murphy, S., Kristensen, T. R., Bech-Hansen, D., & Elklitc, A. (2019). The Psychological Subtype of Intimate Partner Violence and its Effect on Mental Health : Protocol for A Systematic Review and Meta-Analysis. Systematic Reviews, 8, 198. https://doi.org/10.1186/s13643-019-1118-1

Rioli, G., Sgarbi, C., Moretti, V., Sinisi, A., De Fazio, L., Giambalvo, N., Ferari, S., & Galeazzi, G. M. (2017). An update on intimate partner violence and mental health. Minerva Psichiatrica, 58(4), 216‑233. http://dx.doi.org/10.23736/S0391-1772.17.01943-4

Rozmann, N., & Ariel, B. (2018). The Extent and Gender Directionality of Intimate Partner Violence in Different Relationship Types : A Systematic Review and Meta-Analysis. Partner Abuse, 9(4), 335‑361. https://doi.org/10.1891/1946-6560.9.4.335


Jean-François Lopez

Psychologue clinicien, psychothérapeute. Diplômé de l'Université Grenoble Alpes, je me suis formé au modèle de thérapie brève systémique de Palo Alto, qui favorise le changement en faisant appel aux ressources de la personne.

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